Rami Baitiéh (directeur général de Carrefour France): sa méthode, sa vision, ses objectifs, ses résultats...

Rédigé le 01/07/2021


Un an tout juste après son arrivée à la tête de Carrefour France, Rami Baitiéh fait le point sur son action, ses méthodes originales, ses premiers résultats et ses projets dans l’interview exclusive qu’il a accordée à LSA.

LSA - Comment vous sentez-vous un an après votre arrivée ? Et comment va Carrefour ?

Rami Baitiéh - D’un point de vue personnel, c’est un retour au pays pour moi, ma femme et nos enfants. Ce sont des retrouvailles. Nos enfants suivent tous des études universitaires en France. Ce timing est donc plutôt très positif à titre personnel.

Sur un plan professionnel, c’est une fierté de retrouver la France et la société qui m’a formé pendant douze ans, avant mon départ pour quatorze années à l’étranger. D’autant que je retrouve des collègues, je parcours des magasins que j’avais fréquentés avant mon départ. En France, j’ai été itinérant, j’ai visité des centaines de Market et la quasi-totalité des hyper­marchés… sauf ceux ouverts depuis 2006 bien évidemment. Avant de partir en Pologne, mon bureau était déjà à Massy. En revenant pour prendre les commandes de Carrefour France, j’ai trouvé une belle équipe, proche de moi, un bon comex, et j’ai remplacé Pascal Clouzard, un ami et un très bon retailer qui m’a donné quelques conseils. Je suis arrivé avec la confiance d’Alexandre Bompard et celle du comex groupe. On ne peut pas démarrer dans de meilleures conditions. J’ai pu commencer sur les chapeaux de roues, comme j’aime le faire.

Pouvez-vous nous expliquer votre méthode de travail ?

R. B. - Ma nomination a pris effet le 1er juillet 2020 et, dès mon arrivée, j’ai réuni une centaine de top managers. Je leur ai expliqué quel type de manager je suis et ce que j’attendais d’eux. La première slide était une photo de Pascal Clouzard et de moi-même, la seconde indiquait « Vous êtes tous confirmés à la tête de vos équipes ». Je ne suis pas un homme qui change les organigrammes en arrivant quelque part. Je suis pour une culture d’ouverture, de prise de risque, dans une logique d’entrepreneuriat.

Cela permet à chacun de s’exprimer beaucoup plus et beaucoup mieux. L’une de mes expressions favorites, c’est « chaque problème a deux solutions ». Très rapidement, j’ai organisé des tables rondes avec les salariés, les directeurs, etc. Cela m’a aidé à comprendre les urgences à traiter immédiatement. Je me suis ensuite penché sur les milliers de verbatim clients déjà recueillis avant mon arrivée. Je les ai classés et ai recherché ceux qui disaient, « je n’aime plus l’hypermarché ». Et je n’en ai pas trouvé !

Qu’est-ce qui vous a marqué dans ces témoignages ?

R. B. - J’ai plutôt trouvé des clients qui aiment Carrefour, la marque, l’enseigne, qui veulent améliorer la fluidité en caisse, la disponibilité des produits, etc. En clair, le retour aux basiques. Nous nous sommes occupés en priorité de ces sujets dès juillet 2020. Et aujourd’hui, à date, ce que vous voyez de Carrefour, c’est une progression des parts de marché depuis maintenant trois trimestres et demi, et douze périodes où ­Carrefour oscille entre redressement et gain. En juillet 2020, nous étions en négatif, nous avons fini l’année 2020 à +0,3 point. Aujourd’hui, nous gagnons 0,5 point de part de marché.

Sur quoi repose ce retour à la croissance ?

R. B. - Au-delà du contexte du Covid, cela s’explique par l’accélération du plan de transformation lancé par Alexandre Bompard en 2018. Les fondamentaux étaient posés, mon arrivée coïncide avec une étape d’accélération et de décollage. J’aime m’appuyer sur l’image du panneau de contrôle d’un hélicoptère (Rami Baitiéh est colonel de la réserve citoyenne de l’Armée de l’Air, NDLR). Il est composé de huit aiguilles. Pour amorcer le décollage, il faut que toutes les aiguilles soient au vert. Si une seule d’entre elles n’est pas bien positionnée, on ne décolle pas. Et aujourd’hui, je peux annoncer que toutes nos aiguilles sont dans le vert.

Quelles sont ces aiguilles ?

R. B. - Le Net Promoter Score est en nette progression sur douze mois. Le chiffre d’affaires aussi. Certains fournisseurs nous disent qu’ils n’arrivent plus à suivre notre rythme car nos commandes sont de plus en plus importantes. C’est la somme de ces détails qui fait la perfection. Et la perfection n’est pas un détail !

Prenez l’aiguille des irritants : elle a été énormément réduite. Nous avons aussi gagné des parts de marché en drive. Et il y a bien d’autres éléments. Concernant les enquêtes internes, qui s’appliquent aussi à moi-même, nous sommes en progression. Idem sur le NPS appliqué à la logistique, partagé sur une boucle WhatsApp tous les jours à 19 heures avec les managers. Au total, il y a environ une vingtaine de services qui sont évalués ainsi. Les boucles WhatsApp nous permettent d’être plus agiles et rapides dans l’exécution…

Une autre aiguille repose sur la maîtrise des coûts. Nous sommes en phase avec le plan de performance, et allons dans la bonne direction. Les parts de marché sont une des aiguilles importantes de l’ensemble du dispositif, mais elles ne sont pas suffisantes en elles-mêmes car elles fluctuent d’un mois sur l’autre ! L’objectif est de conserver une bonne tendance.

Quels sont vos indicateurs clés ?

R. B. - Il faut trois éléments pour atteindre l’excellence. Le premier, c’est l’élimination des irritants et la proposition de produits répondant à la demande client. Le second concerne le rapport qualité/prix et tout ce qui s’y rapporte : l’affichage, la fidélité et la promotion. Le troisième, c’est l’innovation. Carrefour est en bonne voie pour réunir ces trois éléments. Pour moi, la satisfaction client, le produit et l’expérience prix sont à travailler en priorité. Dans le passé (une référence transparente à Carrefour Planet, NDLR), nous avons rénové des magasins mais sans en travailler le contenu.

Vous semblez accro aux échanges sur WhatsApp…

R. B. - Nous avons plus d’une centaine de boucles WhatsApp. C’est un nouveau processus d’échange. Il y a une boucle pour les ruptures logistiques, une liée à l’Euro de football où les magasins partagent des photos d’animations… Là où, avant, il fallait passer par un numéro de téléphone pour avoir un interlocuteur, maintenant, il y a ce dispositif. Chaque département a prévu une astreinte sur les boucles WhatsApp. Auparavant, le processus était beaucoup plus long. Ces boucles insufflent de l’agilité dans un groupe comme Carrefour. Je reçois ainsi directement les réclamations et je ne discute pas ce que dit le client, car il a raison. Ce système nous permet d’apprendre rapidement ce qui ne va pas grâce au sommet de la pyramide, c’est-à-dire le client.

Quelles sont les principales actions déployées ?

R. B. - D’abord, il a fallu traiter les basiques, les urgences, à très court terme : c’est-à-dire le produit, le prix et l’expérience (l’affichage du prix, sa lisibilité, etc.). Après, l’expérience repose sur le 5-5-5. Ensuite, il faut mettre des concepts en place. La formation est aussi un point important. En septembre 2020, nous avons lancé l’École des leaders, qui donne l’opportunité à chaque collaborateur de se porter candidat pour accéder au niveau professionnel supérieur. La première promotion sera célébrée le 22 juillet, en collaboration avec l’université Paris ­Dauphine-PSL. Cette idée m’a été inspirée par une hôtesse de caisse en Argentine qui craignait de rester invisible dans l’entreprise. Le dispositif a ensuite été mis en place en Espagne, et maintenant en France. Les élèves sont des personnes issues de la promotion interne. Le taux d’admission est de 20 % environ, et les élèves suivent des cours pendant six mois. Ces cours sont dispensés à 90 % par des membres du comex, dont moi-même. Il y a 180 élèves par promotion, avec trois classes. Une pour les employés aspirant à passer cadres. Une pour les chefs de rayon désirant évoluer en chefs de secteur, et une pour les chefs de secteur qui veulent devenir directeurs de magasin.

Quels autres moyens mettez-vous en place pour la formation ?

R. B. - Plusieurs autres programmes ont été mis en place car la formation, pour moi, est le premier élément d’une stratégie de long terme. On a réactivé l’institut Marcel-Fournier pour les cadres, mais aussi créé une école des métiers pour les bouchers-charcutiers. Il y a aussi l’école des nouveaux arrivants (pour les alternants) et l’école digitale pour accompagner ceux qui travaillent sur la data, sans oublier nos programmes « graduate » pour les jeunes diplômés. En termes de formation, il y a toujours à faire. Et ce qui nous permet de sortir par le haut, c’est l’amélioration du niveau de service auprès du client.

Quel est votre regard sur l’hypermarché ?

R. B. - Ce format est très important, et nous avons la chance de posséder une panoplie de modèles que personne d’autre ne peut revendiquer en France aujourd’hui : Carrefour City, Market, Carrefour Montagne, Promocash pour le B to B, les drives, le lâcher de chariot, etc. L’hypermarché, vous l’avez vu dans notre communication financière, est sur une tendance très positive. À fin mars (date des derniers chiffres trimestriels, NDLR), la tendance était très encourageante, et bien au-dessus des attentes du marché. C’est la conséquence naturelle de nos efforts car nous éliminons les irritants, et donc, logiquement, nous attirons plus de clients et de paniers.

Quels projets avez-vous lancés en amont pour relancer l’activité ?

R. B. - Ma mission consiste à travailler en permanence avec les équipes pour proposer de nouvelles idées, de nouveaux concepts. C’est de ce travail qu’est né le projet Top, déployé partout dans les hypermarchés depuis juillet 2020. Nous avons choisi l’hyper d’Ormesson (Val-de-Marne) comme magasin pilote. Le projet Top est une spécialisation et une mutualisation des tâches de chacun.

Concrètement, au sein de l’équipe « front » : quand une personne a fini le remplissage de son rayon, elle donnera un coup de main sur un autre rayon. Même principe pour l’équipe « scan » qui gère les étiquettes, la casse des produits périmés, la démarque, ou des produits proches de la date de péremption. Cette équipe vérifie aussi les ruptures quotidiennes. Elle en détecte les raisons et les corrige. Enfin, la troisième équipe, « back », ne s’occupe que de la réserve. Elle identifie les produits en surstock, et remonte les problèmes au siège via également une boucle WhatsApp.

Top vise à définir une tâche pour chaque salarié. Le manager est présent aux côtés des salariés et distribue les missions. Tout le monde arrive à 5 heures du matin, et plus à 2 heures comme avant. Ce projet a été largement bien accueilli. Dans les hyper­marchés, Top est déployé sur les PGC et sera testé sur le non-alimentaire. Chez Market, le déploiement sera terminé fin juillet. Le premier objectif de Top était la satisfaction client. On y est : les irritants clients sont en partie corrigés. II n’y a plus de produits proches de la péremption, il y a une étiquette au-dessus de chaque produit, etc.

Pour autant, cette mise en place a soulevé des protestations des syndicats…

R. B. - Quelques-unes mais c’est assez normal. Les partenaires sociaux ont formulé des doutes et des remarques que j’ai écoutés. Nous avons apporté des réponses à leurs questions, par exemple garder une distanciation sociale, ou mettre deux palettes l’une sur l’autre pour ne pas trop se baisser et limiter la pénibilité, etc. Par ailleurs, si la masse salariale évolue chez Carrefour, ce n’est pas du tout lié au projet Top. Il est normal que nous travaillions sur les frais de personnel. La mobilisation des équipes et l’absentéisme injustifié sont des sujets qui nous occupent beaucoup.

Dans quel sens doivent évoluer les magasins ?

R. B. - Il y a une évolution du concept de l’hypermarché. La classe moyenne française a beaucoup évolué depuis trente ou quarante ans. Socialement parlant, elle a été largement diluée et fragmentée. Cette fragmentation se traduit notamment par différents phénomènes : envie de consommer bio, ultralocal, des produits du monde, intérêt pour les produits d’animalerie. L’hypermarché se doit de proposer cette panoplie de solutions. Pour engager la transition alimentaire, nous avons investi sur le bio. Aujourd’hui, nous ajoutons des caves à bière, un concept de fruits et légumes digne de ce nom, un concept d’animalerie, tout en travaillant l’ILV (information sur le lieu de vente) avec des affiches basées sur la clarté et le prix bas. Prenez l’hypermarché de Montigny-lès-Cormeilles (95) : nous avons installé le rayon Produits du monde à côté de l’offre bio. C’est tous sous le même toit !

Et en quoi consiste le concept Maxi ?

R. B. - Le projet Maxi a été déployé à Saint-­Denis (93). Le principe est simple : intégrer l’hypermarché dans sa zone de chalandise ultralocale. Le tronc commun n’est plus décidé par le siège. Sont mis en rayon, dans l’allée centrale, les produits qui répondent aux besoins de la clientèle. À Saint-Denis, nous avons, par exemple, installé du gros électroménager, car les clients nous le demandaient à travers les multiples tables rondes que nous organisons avec eux. Nous avons aussi mis des vélos et en avons vendu 150 en une semaine ! Maxi a été déployé dans quelques magasins pilotes, et les résultats sont probants, avec une progression des ventes à deux chiffres. Nous envisageons de basculer une vingtaine de magasins vers ce concept. Et nous prendrons aussi quelques idées de Maxi, qui a une vocation d’entrée de gamme, pour les introduire dans des supermarchés installés dans des zones populaires.

L’accélération concerne-t-elle vos relations avec les fournisseurs et les producteurs ?

R. B. - Il y a tout un projet de simplification des procédures au siège, qui est mené pour raccourcir les délais de référencement de produits. Ce type de référencement envers les producteurs locaux est une action volontaire de la part du magasin. Par exemple, avant, pour référencer une salade, il fallait attendre quelques semaines ou quelques mois. Aujourd’hui, c’est fait dans la semaine. Le contrat, simplifié, fait deux pages, il rassure le producteur. Le magasin envoie le Siret et le nom du fournisseur sur une boucle WhatsApp et la direction marchandises n’a plus qu’à l’enregistrer. Le tronc d’assortiment commun, le TAC, est toujours là. Mais il est adapté aux besoins du magasin, à la contenance du rayon, etc.

Cela signifie-t-il que l’assortiment augmente, alors que la volonté affichée est de le maîtriser ?

R. B. - C’est tout un équilibre. Le référencement est assuré par la direction marchandises. C’est elle qui a le dernier mot. J’ai moi-même validé des refus de référencement concernant des produits dont la qualité n’était pas au rendez-vous. La direction des marchandises a des consignes claires : le NPS et la satisfaction client. Si la satisfaction client passe par le référencement de quelques produits additionnels, alors nous nous exécutons ! D’un magasin à l’autre, on trouve des différences.

Avez-vous d’autres modèles pour les hypermarchés ?

R. B. - Il y a un modèle premium que nous développons à Auteuil (Paris) et Montesson (Yvelines). Nous tirons l’assortiment et la marque vers le haut. Concernant les outlets, pratiquement tous les hypermarchés disposeront cette année de leur espace In & Out, dédié aux arrivages de produits temporaires.

Allez-vous continuer à développer des corners avec des partenaires ?

R. B. - Nous sommes en train de déployer les corners occasion. Concernant les autres corners, comme avec Darty, cela fonctionne bien. Je suis favorable à la poursuite de ce type de partenariats quand la situation et le besoin client le justifient.

Le chantier de la réduction des surfaces va-t-il se poursuivre ?

R. B. - Ce chantier a été largement commencé avant mon arrivée. Cette réduction des surfaces a été gelée pendant la pandémie. Les urgences étaient ailleurs et, pendant la crise sanitaire, le non-alimentaire a repris de l’élan.

Dans ma carrière, il m’est arrivé d’agrandir ou de réduire la surface d’un hypermarché, comme celui de Vicente Lopez en Argentine, passé de 13 000 à 9 000 m². Le centre commercial avait besoin de surface supplémentaire, et l’hypermarché pouvait s’en passer. En clair, je suis pragmatique et en faveur de la réduction des surfaces quand cela s’inscrit dans une démarche positive pour l’ensemble. Nous avons des magasins qui méritent une révision de la surface, cela doit être regardé au cas par cas. Depuis quelques mois, nous avons, par exemple, réutilisé des mètres carrés pour étendre le drive ou installer des points d’e-commerce…

Pourquoi basculez-vous de plus en plus de supermarchés et d’hypermarchés en location-gérance ?

R. B. - Nous regardons le parc et nous trouvons des solutions pragmatiques. L’intégré représente la force collective, les autres modèles symbolisent l’agilité et les décisions rapides. Nos choix sont basés sur la satisfaction client, sur l’intérêt de nos salariés et celui du magasin : si le magasin nécessite un autre modèle que l’intégration, alors nous recherchons toute solution nécessaire pour protéger les salariés et l’image de la marque. Et tout cela se fait en coordination avec l’ensemble des partenaires sociaux.

Comment se comportent les supermarchés et la proximité ?

R. B. - Sur le format Market, nous déployons le projet Kiss à Montreuil (93) et à Nice (06). Le but est de rapprocher le mot Market de son équivalent, « marché », avec une halle à fruits et légumes dans le magasin. Le projet Maxi, dont j’ai parlé précédemment pour les hypermarchés est aussi en cours de déploiement chez Market (à Melun). Et les résultats sont là aussi positifs, avec une quarantaine de magasins en cours d’adoption de ce modèle.

Concernant la proximité, nous avons ouvert 211 magasins en 2020 et envisageons d’en ouvrir 215 cette année. Nous déployons des mini­concepts Contact et City, avec des micro-ondes, du café, des produits du monde dans certains magasins parisiens par exemple. L’offre de non-alimentaire In & Out doit, elle, être renforcée.

Quelles sont les ambitions pour Supeco ?

R. B. - Le développement de Supeco est l’une de nos priorités. Notre ambition est d’en compter une trentaine d’ici à la fin de l’année. On ne connaît pas encore le potentiel de cette enseigne, mais elle correspond à un modèle économique adapté à des zones à faible pouvoir d’achat, avec un assortiment répondant à des achats d’opportunité. Nous sommes sur des conversions de certains Market en difficulté, mais également sur beaucoup de créations. Supeco est une enseigne qui sera développée majoritairement en location-gérance. D’ailleurs, nous avons simplifié les processus de validation pour gagner en agilité. Faire coller l’assortiment à la zone de chalandise donne des résultats immédiats. Nous formons ainsi des locataires-gérants qui constituent un vivier de dirigeants.

Carrefour pourrait-il racheter des magasins ?

R. B. - Notre entreprise a toujours été ouverte à des opportunités pour répondre aux besoins du client. La décision d’Alexandre Bompard de racheter Bio c’Bon nous permet de répondre à la demande sur cette catégorie. À Taïwan, nous avons racheté Wellcome (224 magasins de proximité). En Espagne, nous avons conclu le contrat avec Supersol (rachat de 172 magasins de proximité et supermarchés, NDLR). Carrefour est, et a toujours été, à l’écoute du marché ! L’objectif ce n’est pas la quantité, mais la qualité au service des clients, des salariés et des investisseurs.

Quid du digital, qui n’a pas toujours été le point fort de Carrefour ?

R. B. - Les douze derniers mois, il n’a pas été aisé de proposer un service de drive avec les contraintes sanitaires que l’on connaît. Or nous avons des gains de part de marché à deux chiffres dans ce domaine. Ce succès n’est donc pas un hasard, alors que nous avons dû composer avec des acteurs présents depuis plus longtemps que nous sur ce secteur.

Prenons le mois de novembre 2020 : nous avons été contraints de fermer les rayons non alimentaires, mais nous avons su mettre en place un site web sur ce secteur en quelques jours. Aujourd’hui, notre chiffre d’affaires digital est en très forte croissance. Vous le savez, je suis de formation universitaire digitale et lorsque je suis entré chez Carrefour, il y a bien longtemps, j’ai proposé la digitalisation de commandes ! Dans quelques jours, je vais retourner visiter la plate-forme de préparation de commandes du Plessis-Pâté, en région parisienne, dont j’ai décidé d’accélérer la robotisation lors de ma précédente visite, il y a huit mois. ­Carrefour va poursuivre dans cette direction car je considère que, pour les cinq années à venir, l’e-commerce sera une priorité, qu’il s’agisse du drive, de la livraison à domicile, du lâcher de chariot… Carrefour doit absolument être, à la fois, spécialiste de l’e-commerce, et le meilleur en service physique car nous sommes tous des clients omnicanaux !

Quels sont les chantiers existants sur le drive ?

R. B. - Nous regardons tout en détail : nous sommes en train de revoir très précisément la traçabilité des commandes, nous réfléchissons à la pose d’un microphone à détecteur automatique lorsque vous arrivez pour récupérer votre commande, nous réfléchissons également à la façon dont nous allons vous montrer les œufs pour vous prouver qu’ils sont intacts dans votre sac… Il faut structurer les priorités. Pour la livraison et les prestataires, nous avons mis en place le 5-5-5 « last mile » : comment bien porter son masque, comment garer sa camionnette convenablement ? Etc.

Que pensez-vous du foisonnement de services de livraison ultrarapide dans les centres-villes ?

R. B. - Le « quick commerce » ou le « last mile delivery » n’est pas une option. C’est un besoin client pour les années à venir ! Carrefour s’est inscrit dans la trajectoire du digital. Nos partenariats signés avec Uber Eats et Deliveroo fonctionnent à merveille. Nous en avons aussi noué un avec La Poste. Et quand on voit le développement de Gorillas et d’autres, cela prouve que nous sommes présents sur les bons sujets.

Sur les coûts du drive ou de la livraison, nous recherchons un équilibre. Et depuis un an, notre démarche est extrêmement positive en matière de bas de page. Quand nous écrivons une équation où la marge dépasse les coûts variables, c’est que nous sommes sur la bonne voie. Prenons les dark stores, nous en possédons déjà dans certaines réserves, mais aussi des drives hybrides, des drives piéton. Trois Français sur quatre viennent chez Carrefour au moins une fois par an. Nous sommes là pour les servir au travers de chaque format.

Comment Carrefour se positionne en termes de prix ?

R. B. - Aujourd’hui, je veux garantir au client que chez Carrefour, le prix n’est pas plus cher que le moins cher du marché et que l’achat est responsable. J’ai rendu visite à des producteurs de lait, on s’est engagé auprès d’eux à leur acheter le lait à un prix supérieur à celui du marché. Je vous rappelle, au passage, que nous avons mis en place la démarche C’est qui le patron ?! Nous avons aussi signé des contrats pour une pêche éthique. Carrefour s’engage à garantir un prix honnête !

Que pensez-vous de la hausse de 9 % des tarifs demandée par l’Ania dans la perspective de la loi Egalim 2 ?

R. B. - Je ne commente pas les lois, je les exécute. Maintenant, est ce que la bonne réponse c’est + 9 %, 0 %, - 2 % ? Cela dépend du produit, de la catégorie et du moment. Nous sommes tous des maillons d’une chaîne de distribution et notre objectif est de servir le client. Je crois beaucoup plus à la complémentarité entre ces différents maillons. En plus du prix, nous devons parler de l’ensemble des éléments qui déterminent la chaîne de valeur, tel que le taux de service. Quand j’étais en Argentine, pays qui connaît une hyperinflation, tout était décidé par le gouvernement et par décret.

Qu’est-ce qui distingue Carrefour et doit donner envie de fréquenter l’enseigne ?

R. B. - Carrefour aime le client ! Nous proposons le meilleur produit au meilleur prix et avec la meilleure expérience. De plus, la constitution de notre assortiment est composée avec des fournisseurs qui respectent le commerce ­responsable.

Vous voulez être considéré, qu’on vous dise oui tout le temps ? Venez chez Carrefour. Vous voulez m’écrire directement ? Je vous réponds. C’est pour ces raisons que les clients viennent chez nous. Le client ne doit pas voir la complexité de la machine. Mon rôle est de résoudre tout ce qui est complexe. Le tout, c’est de garantir que nous gardons l’agilité pour piloter le bateau et de ne jamais tomber dans l’arrogance. 

Propos recueillis par Morgan Leclerc, Jérôme Parigi et Yves Puget